Genèse du nationalisme corse du XXe siècle.

Le nationalisme corse.

Le nationalisme corse ne date pas des années 70, c’est un mouvement plus profond. Dès qu’il y a nation, il y a nationalisme, une expression politique de sa propre existence en tant que communauté ethnique. Nous allons aborder l’histoire du nationalisme corse par des figures importantes.

A Tramuntanedda :

Tout d’abord, Santu Casanova. C’est un poète corse, né en 1850 à Azzana et mort en 1936. Il était réputé pour être un grand polémiste politique, un conteur doué ainsi qu’un fin poète. Comme d’autres intellectuels corses, Santu entendait résister par la littérature et l’art, à cette francisation forcée de de la nation corse. Sa protestation passait par la conservation de langue et de la culture corse. Il alertait sur la dépossession de la langue et de la culture venant de la France afin de les contraindre à l’intégration au sein de la république. En effet, notre île est sous contrôle français par suite d’une invasion militaire mettant fin à son indépendance en 1769 et à son régime démocratique fondé par Pascal Paoli, avant d’être placée sous gouvernement militaire pendant un siècle.

Santu Casanova fonda en 1889, le premier journal en langue corse : A Tramuntanella. Le journal avait un intérêt pour la politique et la littérature, mais aussi l’humour et la satire. L’usage du français et de l’italien était interdit.

En mai 1903, lors de l’expulsion des frères du couvent de Saint Antoine par la gendarmerie, Santu Casanova écrit:  « Corse ta Foi, tes intérêts sont foulés au pied. Comme nos ancêtres défendons nos croix qui se dressent sur nos collines (…) d’ici peu nos églises seront fermées comme les couvents ».

« A Muvra » :

La figure de Petru Rocca :

Petru Rocca est né en 1887 à Vico et mort en 1966 dans le même village. Il est mobilisé en 1914 dans la Grande guerre. Il est fait officier et chevalier de la Légion d’honneur. Il publie à partir de 1920 la revue « A. Muvra ». Il crée dans les années 20 deux parties politiques dénonçant le système politique français et promeut la défense de la langue et la culture corse, ainsi que la chrétienté, présentant la France comme un état décadent et déchristianisé.

Le nationalisme corse se construit peu à peu et devient plus politique. Petru Rocca se réfère aux exemples catalan et irlandais. Il s’occupe de la rubrique corse dans la revue « Peuples et frontières » où il fréquente Olier Mordrel, nationaliste breton, ainsi que l’abbé Gantois, nationaliste flamands. Il a des liens avec « Breiz Atao », parti nationaliste breton. Il fréquente aussi Herman Bickler, nationaliste alsaciens.

En 1925, il inaugure, en présence d’une foule imposante, un monument commémorant la bataille de Ponte Novu (1769), avec un discours poignant :

« Centu cinquanta sei anni or sonu chì a Corsica hà persu, in un solu ghjornu, un’ indipendenza cunquistata cù tamanti sacrifizii. È l’acque di Golu, durente un seculu è mezu anu francu l’arche sacre, senza pudè lavà a macula rossa di quellu sciaguratu nove di maghju 1769, è senza chì l’ombre affannate di quelli chì casconu sott’à u piombu sintessinu sussurà u dolce vampu di a ricunnuscenza. Ma oghje, sopr’à l’amarezza di u ricordu, u segnu di Cristu stende e so bracce di gloria è di misericordia. »

La figure de l’abbé Dominique Carlotti.

L’abbé Dominique Carlotti est un des rédacteurs de « La Patrie Corse ». Il s’agit d’un journal régionaliste d’action catholique sociale. Il est un ardent défenseur de la Corse, il y défend déjà la renaissance de l’Université de Corte « Evidemment bien des jeunes gens corses vont faire leurs études sur le continent français : ils s’initient, je ne  le nie point à tous les progrès de la science ; certains d’entre eux deviennent même des maîtres très éminents. Mais ils y apprennent là bas à connaitre tout sauf la Corse. Combien en avons nous vu mettre leur talent au service de la Patrie Corse ? En cet anniversaire de Saint Grégoire, Patron de l’université de Paoli je forme le vœu ardent de voir bientôt s’édifier (…) cette université dont notre Corse a besoin ». 

L’abbé Carlotti fait la promotion de l’enseignement de la langue Corse, notamment dans les séminaires. Il prend exemple de l’Evêque de Bayonne qui a introduit l’étude de la langue basque, du gascon et du béarnais.

En 1925, il publie un appel au clergé en faveur de l’autonomie dans le journal, indiquant :  « La France a tout mis en œuvre pour déchristianiser la Corse (…) Que nous faut-il faire ?(…) Il existe à Ajaccio un journal national corse la Muvra. Le journal s’efforce de ressusciter les mœurs, le langage, la foi, l’amour de la Patrie Corse (…) Le journal se recommande à vous et en vous priant de répandre dans vos paroisses ses idées qui sont le contre-poison de la francisation. Parmi ses idées est l’autonomie de la Corse… ».

La figure de l’abbé François Petrigagni

L’abbé François Petrignani est le curé de Saint Florent. Il prononce des discours passionnés et rédige des écrits en langue corse qui exaltent la Tradition et la figure d’u Babbu di a Nazione. Voici, l’homélie prononcé le 14 Juillet 1926 : « Si nous voulons relever la Corse, souvenons nous qu’elle s’est effondrée moralement encore plus que matériellement. Un siècle et demi de doctrines perverses, venues d’au-delàs de la mer, ont détruit nos coutumes et notre morale. Le Corse n’est plus corse, parce qu’il n’est plus chrétien dans toute la force du terme, dans un siècle de persécutions religieuses, pendant que de prétendus philosophes faisait profession de déprécier les croyances chrétiennes [Paoli] eu le courage de vivre en chrétien et de se montrer tel, toujours et en tous lieux ».

La figure de Père Tommaso Alfonsi.

Tommaso Alfonsi est un prêtre dominicain, professeur de théologie à Bologne. Il est né à Moncale en 1863 et mort en 1947 à Bologne.

La plupart des prêtes, dont le Père Alfonsi, se sont formés en Italie. Dans cette Italie fervente de de Leon XIII puis de Saint Pie X, où ils ne sont qu’observateurs des évènements dramatiques que la France inflige à la Corse : les lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat, ainsi que des évènements graves :

En 1880 : expulsion des jésuites de Bastia, dirigée par le Préfet en personne.

En 1903 : Les moines franciscains et dominicains sont chassés de leurs couvents.

En 1906 : Monseigneur Desanti, Evêque de Corse doit quitter son palais épiscopal d’Ajaccio.

La tension monte aussi dans nos villages. De nombreux incidents ont lieu entre des maires d’apparatchiks pro-français et les clercs. Ainsi à Olmiccia, le Maire Ortoli s’oppose au curé Guidicelli, comme lors de la procession du Vendredi Saint où les chants du « Perdono mio Dio » sont saccagés par le meuglement de « La Marseillaise ». Le Maire de Lento, policier à la retraite et militant communiste, s’en était pris en 1926 au prêtre de la commune. Aussitôt, « A Muvra » sous le titre significatif « Articulu d’importazione » indique : « l’explication est pourtant facile à trouver dit-il un demi siècle d’enseignement athée imposé à la Corse a fini par éteindre les sentiments chrétiens en de nombreux cœurs. L’anticléricalisme est un article d’importation Monsieur le lieutenant de gendarmerie depuis que notre île est devenue française par force, elle n’a connu aucun progrès ni matériel ni moral au contraire, nous retournons au paganisme et à la barbarie » .

En opposition avec le courant coloniale, persuadés que leur combat pour maintenir la vraie religion de nos pères n’est pas séparable du substrat culturel où la Foi s’est épanouie, les ecclésiastiques de « A Muvra » feront de la défense de la langue corse un élément déterminant de leur engagement.

La préoccupation centrale de ces ecclésiastiques est la défense de la foi des Corses. Ce combat pastoral est là pour éviter que les Corses, noyés dans un ensemble français hostile à la religion catholique, ne perdent la foi de leurs ancêtres. Ainsi le chanoine Sébastien Casanova écrit en 1933 dans son « Histoire de l’Eglise Corse » : 

« Le plus grand fléau de l’église en ce moment, c’est le laïcisme, il a déchristianisé la Corse en cinquante ans. Il a tari le recrutement sacerdotal. Il a semé partout l’indifférence, l’incrédulité, le matérialisme. Il a chassé Dieu de l’école, du prétoire, des hôpitaux, de la famille et de la conscience. On n’enseigne plus le catéchisme à l’école et peu d’enfants assistent à celui que l’on fait à l’église, il en résulte une profonde ignorance religieuse et un grand égoïsme. Nous marchons à grands pas vers le paganisme. L’ancienne honnêteté des Corses, qui était légendaire, tend à disparaître. Les mœurs sont dissolues. Partout c’est la corruption, l’escroquerie, le vol. Les assassinats se multiplient chaque jour. Le jury, grâce à la politique, absout les coupables ou les condamne à des peines légères. »

Fin d’une épopée :

Lorsque la Seconde Guerre mondiale s’annonce, par peur des visées irrédentistes de l’Italie de Mussolini, l’État français en profite pour fermer l’imprimerie de « A Muvra » en 1939 et pour condamner un honnête défenseur de la Corse et de son Histoire, Petru Rocca. Il sera exclu de l’ordre de la légion d’honneur, sera diffamé de collaboration avec les Italiens en 1945, et condamné à 15 ans de prisons. Les corsistes seront condamnés à « atteinte de la sûreté de l’Etat » en 1946.

Les ennemies de la nation Corse ont joué sur le même tableau que l’Italie en affirmant que les corsistes étaient des fascistes voulant intégrer l’Etat-Nation italien. Depuis le départ, le journal était un danger pour le pouvoir jacobin. En effet, la défense de la langue corse, le refus acerbe de l’anticléricalisme, la protection de l’Eglise, la critique de la politique française, la publication dans la revue « Peuple et frontière ». Surtout, le refus de l’Histoire officielle de la III république, avec une «lutte mémorielle» de Petru Rocca, permettant la mémoire de Ponte-Novu. En effet l’école républicaine, outil de l’Etat colonial, enseignait que « les corses depuis trente ans attendaient les Français ; ils les laissèrent s’établir tranquillement chez eux », tirés d’un manuel destiné à l’école élémentaire.

Les corsistes représentaient un danger, il fallait que le pouvoir central trouve une excuse. L’excuse sournoise était le supposé fascisme et irrédentisme italien. La république coloniale, par racisme anti corse, trouvait que les corses parlaient une langue batârde de l’italien, et de plus, faisant l’amalgame, que ce peuple, étant proche culturellement des italiens, étaient de près ou de loin des irrédentistes italiens. Par ailleurs, cette position est similaire à la position des fascistes italiens. 

Pourtant la vérité est tout autre, les corsistes défendaient la Corse et le Corse. La défense du Corse passe par la défense de l’italien, l’italien étant une langue autonome, construite avec une littérature établie, alors que le Corse est une langue littéraire trop récente pour être autonome. Cela n’a rien à voir avec la position irrédentiste, reléguant le corse au folklore, position similaire à celle des français.

Matteu Rocca, rédacteur en chef de A Muvra avait exprimé clairement que corsisme et irrédentisme ne pouvait se confondre dans l’éditorial de A Muvra du 20/10/1932, où il dit : « Mais une telle doctrine, tant dans ses développements politiques que dans ses corollaires historiques ne doit pas être confondue avec la doctrine autonomiste. »

Généralement, l’accusation d’irrédentisme n’a pour fondement que des contacts entre ces prêtres corsistes et des universitaires italiens de passage en Corse, sans une analyse sérieuse des convictions et des prises de positions.

Les propagandistes italiens mettent en place une politique très pernicieuse conduisant à un amalgame entre les deux mouvements. Le pouvoir français se servira des propos des propagandistes italiens pour discréditer politiquement A Muvra. 

Cela sera fatal aux rédacteurs de A Muvra qui s’obstinent, malgré les tensions internationales, à maintenir leurs liens avec les intellectuels transalpins et à réaffirmer leur italophilie. Les autonomistes s’isolent ainsi d’une population corse inquiète des revendications annexionnistes de Benito Mussolini, et sont condamnés après la guerre sur la base de l’amalgame entretenu.

La résistance en Corse

La résistance insulaire est fondamentalement italophobe, donc identitaire. Dans l’opinion publique il y a un refus de l’annexion italienne. Le peuple donne une dimension politique, sans comparaison avec l’occupation allemande en France.

De cette phobie, il y a le développement d’un maréchalisme, qui n’est pas un pétainisme. Ce maréchalisme c’est l’attachement à la personne du vainqueur de Verdun, à distinguer de la Révolution nationale. Il incarnait au début une sorte de rempart à l’annexion italienne, la Corse faisant partie de la zone libre. Il n’y a pas de Pétainisme, c’est à dire d’acceptation à l’idée de la révolution nationale. Surement dû à l’existence même de la Nation Corse qui implique une certaine distance vis à vis des projets franco-français. En effet, dès le premier trimestre 1941, le préfet de Pétain constate amèrement que « la Révolution nationale a trouvé, en Corse, des conditions tout à fait particulières, et qui l’ont souvent entravée ».

En 1940, il y a le soutien des parlementaires de la droite corse à Pétain, ils tirent un avantage de ce contexte politique, permettant alors de s’insérer dans les structures de pouvoir instaurées par Pétain en Corse. L’une des erreurs politiques est d’avoir crée la Légion Française des combattants, LFC, qui a introduit dans un système politique clanique clos, une force politique étrangère, car française. La LFC s’est très vite muée en un véritable clan s’opposant au parti pietriste (droite) et même à l’autorité préfectorale. Les affrontements politiques entre Vichy, la LFC et le parti pietriste sont mal perçus par la population, voyant un discrédit total du régime de Pétain, en effet il voulait mettre fin au lutte interclanique et cela a été plutôt une débâcle. Cette évolution fragilise nettement le pouvoir pétainiste local. 

L’invasion italienne montre l’échec total de Vichy, et donne un élan de soutien populaire total à la résistance, initialement communiste. Ce sont 80 mille italiens qui occupent la Corse. La volonté que la Corse ne soit pas italienne explique l’évolution du peuple, ayant pour repère le refus d’une annexion basé sur l’italophobie.

Les corses se sentent menacée dans leur identité par l’Italie. Il y a une forte expression populaire qui va faire évoluer l’opinion en fonction du refus collectif de l’annexion italienne. Cette italophobie engendre parallèlement une anglophilie dans laquelle s’inscrit un courant giraudiste.

Ainsi, de Juin 1940 à Décembre 1940, il y un maréchalisme dans la population corse. Pétain représentant le rempart contre l’irrédentisme italien. Ce que les communistes corses ne voient pas lui, étant donné son placement politique, les communistes corses (les communistes français rentrent beaucoup plus tard dus aux accords du PCF avec Hitler), ainsi les communistes corses rentrent dans la résistance dès 1940.

De 1941 à novembre 1942, on observe l’apparition d’une rupture progressive avec le régime. L’occupation italienne accélère le processus de rupture, amplifiant l’esprit de lutte. Les solidarités familiales et communautaires avec les maquisards s’intensifient. Le peuple corse est un peuple de combattants. Le machjaghjolu, homme de rupture avec l’autorité officielle, vivant pour des principes, véhicule une bonne image dans notre société. Il prend le maquis tout en faisant partie de sa communauté d’origine, qui lui assure sa survie. Il l’incarnation de la société traditionnelle face à un Etat centralisateur.

Conclusion

Le mouvement national en Corse est un mouvement profond ; sa raison est l’existence même de la nation. Les nationalistes ont payé le prix de leur italophilie ; d’abord au niveau populaire où il n’y a pas eu d’accroche politique forte, et surtout au niveau politique par la condamnation des différents mouvements et personnalités nationalistes. Nos défenseurs ont été diffamé, attaqué et condamné par l’Etat français qui voyait en eux un danger pour leur appui colonial. Ainsi après la guerre, le nationalisme est au point mort. 

Il faut attendre la fin des années 50 et le début des années 60. Devant l’effondrement de l’Empire coloniale français et l’arrivé des français rapatriés, une crise sociale démarre. En 1959 est fondé le Mouvement du 29 novembre, il y a une nouvelle prise de conscience du déclin démographique, économique, une prise en compte de la langue et un travail de promotion des traditions. En 1970 se fonde l’ARC, puis les évènements d’Aléria permettent au gouvernement français de le dissoudre en 1976. À partir de là, quelques mois plus tard, le 5 mai 1976, le FLNC est fondé. Le mouvement national ne cessera de grandir dans le temps, suite à toutes les exactions de la France envers le peuple Corse.

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